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mercredi 21 mars 2018

Puritanisme ou cynisme : l'animal comme repoussoir ou comme modèle ?

" L' idée que la troisième dimension, la divinité, s'étend des animaux (en bas) aux dieux (en haut) avec les humains au milieu s'illustre parfaitement dans les paroles d'un puritain de la Nouvelle Angleterre, Cotton Mather qui, alors qu'il urinait, aperçut un chien réaliser la même activité. Submergé de dégoût par le caractère ignoble de l'évacuation du contenu de sa vessie, Mather écrivit la résolution suivante dans son journal : " Je serai cependant une créature plus noble ; et à l'instant précis où mes besoins naturels me rabaisseront à la condition d'animal, mon esprit jaillira (je dis bien, à ce moment précis) et s'élèvera." (Jonathan Haidt, L'hypothèse du bonheur, Mardaga, p.217)
" C'est parce qu'il avait , à en croire Théophraste dans son Mégarique, vu une souris qui courait de tous côtés, sans chercher de lieu de repos, sans avoir peur de l'obscurité ni rien désirer de ce qui passe pour des sources de jouissance, que Diogène découvrit un remède aux difficultés dans lesquelles il se trouvait. " (Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres,VI, 22, éd. Goulet-Cazé, p.706)
Certes les cyniques utilisent aussi quelquefois l'animal comme exemplification de la bestialité mais le puritanisme l' a-t-il jamais pris comme exemple à suivre ?

Commentaires

1. Le jeudi 22 mars 2018, 13:38 par gerardgrig
Personnellement, j' ai été dégoûté de repasser l'agrégation de philo par la présence de toilettes dans la salle même du Centre d’Examens, immédiatement dans le dos du surveillant. J' étais près d’un candidat appelé à se faire un nom dans les médias. Il est possible que la proximité de sa cogitation avec un lieu d’aisance l’ait conduit à aller frapper plus tard à la porte des médias.
2. Le jeudi 22 mars 2018, 18:45 par Philalèthe
Cynique, vous auriez demandé à composer au plus près des toilettes ; puritain, vous auriez trouvé matière à penser haut et fort.

lundi 31 juillet 2017

Être revenu de la maison : trois versions, dont une cynique.

" Quelqu'un l'ayant fait entrer dans une demeure magnifique et lui interdisant de cracher, Diogène, après s'être raclé la gorge, lui cracha au visage, en lui disant qu'il n'avait pas trouvé d'endroit moins convenable." (Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, Le Livre de Poche, p.712)
À comparer avec Antoine Bibesco :
" Grand mondain parisien, sceptique, blasé et revenu de tout, il est invité par un de ses amis à visiter une nouvelle demeure qu'il vient d'installer. Or il s'agit d'un homme riche et grand connaisseur d'art, et sa maison est un paroxysme de beauté raffinée et de luxe irréprochable. À la fin de la visite, Bibesco se laisse tomber dans un fauteuil en disant :
" Oui d'accord, mais pourquoi pas plutôt rien ?" (Michel Tournier, Le Vent Paraclet, La Pléiade, p.1451).
Ou avec Jean Cocteau :
" Il avait montré à un journaliste les souvenirs émouvants ou prestigieux qui entouraient sa vie quotidienne. Et le visiteur lui posa la question traditionnelle :
" Si la maison brûlait, et si vous ne pouviez emporter qu'une seule chose, laquelle choisiriez-vous ?"
Réponse de Cocteau :
" Le feu ! " (ibid.)

dimanche 11 novembre 2012

Althusser, plus bizarre qu ' Héraclite ?

Dans un entretien de 2009, Clément Rosset s'exprime ainsi :
" Althusser se faisait volontiers passer pour ce qu’il n’était pas du tout… Le seul philosophe de l’histoire de la philosophie qui ait tué sa femme… Même dans Diogène Laërce, on ne trouverait pas un tel philosophe, alors qu’il y en a des bizarres (Héraclite s’est fait ensevelir dans de la merde séchée, Empédocle s’est jeté dans l’Etna…)."
Rien à dire concernant Empédocle, même si, comme à d'autres philosophes de l'Antiquité, on doit lui attribuer plusieurs morts.
En revanche, comme Clément Rosset, pourtant à
 l'école du réel
a été ici un peu rosse avec Héraclite, voici le texte de Diogène Laërce rapportant les morts du philosophe avec ses différentes versions :
" Pour finir, il prit les hommes en haine, et vécut à l'écart dans les montagnes, se nourrissant d'herbes et de plantes.
Pourtant, ayant contracté une hydropisie à ce régime, il redescendit en ville, et demanda aux médecins, de manière énigmatique, s'ils pourraient produire une sécheresse à partir d'une pluie diluvienne ; ceux-ci n'ayant rien compris, il s'enterra lui-même dans une étable à vaches, espérant que la chaleur de la bouse provoquerait une évaporation. N'ayant obtenu aucun résultat, même par ce moyen, il mourut, après avoir vécu soixante ans.
Il y a sur lui une pièce de nous qui se présente comme suit :
Souvent je me suis demandé avec stupeur comment Héraclite a bien pu mourir
D'une infortune qu'il avait supportée pendant toute sa vie :
En effet, une vilaine maladie arrosant d'eau son corps,
Éteignit la lumière en ses yeux, et y amena l'obscurité.
Mais Hermippe dit qu'il demanda aux médecins si l'un d'eux pourrait chasser l'humidité en vidant ses entrailles ; ceux-ci s'étant récusés, il se mit au soleil et ordonna à ses serviteurs de l'enduire de bouse ; ainsi étendu, il mourut le lendemain, et fut enseveli sur la grand'place. Néanthe de Cyzique, de son côté, dit que, ne pouvant s'arracher la bouse, il resta ainsi, et que, devenu méconnaissable sous l'effet de cette transformation, il devint la proie des chiens." ( Vies et doctrines des philosophes illustres, Livre IX, éd. Goulet-Cazé, p. 1048-104)
Une note de Jacques Brunschwig met utilement en relief le côté fabriqué de ces morts :
" Cette version de la maladie, de la médication et de la mort d' Héraclite, comme celles qui suivent, a probablement été élaborée, avec des intentions polémiques, au moins en partie, sur la base de certains de ses fragments et de ses théories sur l'âme, l'humidité, la sécheresse, la chaleur, etc " (ibidem, p. 1049).
Quant aux morts bien réelles d' Althusser et de son épouse, tant a été écrit sur elles que vouloir imiter Diogène Laërce, précisément en écrire quatre lignes de mon cru, serait au mieux ridicule, au pire indécent.

Commentaires

1. Le jeudi 15 novembre 2012, 22:00 par Alastair McNeil
Here is glory for you
2. Le dimanche 25 novembre 2012, 19:58 par Philalethe
Merci Alastair !
En effet ces morts qui sont ingénieusement inventées à partir des doctrines sont imitées des morts des Anciens qui semblent avoir été produites à des fins pédagogiques, elles, (et non ironiques) par les disciples. Cette transformation des morts des philosophes qui reflètent humour et dérision - et non plus endoctrinement et prosélytisme - peut pourquoi pas ? être vue comme le pendant de la révision à la baisse de la fonction de la philosophie et de sa valeur dans l'ensemble des connaissances.
À petit philosophe, petite mort !

samedi 26 mai 2012

Les sceptiques, les Chewong et les cyniques : voir ou ne pas voir l'animal pour ce qu'il est.

Les sceptiques ont été minutieusement attentifs aux différences entre les humains et les animaux. En s'appuyant sur elles, ils ont défendu la relativité des biens et des maux, variables en effet selon les espèces et leurs organes sensoriels :
" Les feuilles de l' olivier sont comestibles pour la chèvre, elles sont amères pour l'homme ; la cigüe est une nourriture pour la caille, elle est mortelle pour l'homme ; le fumier est comestible pour le porc, non pour le cheval ", écrit Diogène Laërce (IX, 79)
Pour en rester au porc, citons encore Sextus Empiricus dans ses Esquisses pyrrhoniennes (Livre I, 14, 56 ) :
" Les porcs trouvent plus agréable de se laver dans la fange la plus puante que dans une eau claire et pure " (trad. Pellegrin, Points, p. 85)
On doit ainsi aux sceptiques d'avoir promu une connaissance non anthropomorphique des animaux.
D' une connaissance anthromorphique de l'animal et plus précisément de ses goûts et dégoûts, on trouve un bon exemple dans la société Chewong (groupe ethnique de langue môn-khmère vivant en Malaisie) :
" Le chien qui mange des excréments sous les maisons est persuadé de dévorer des bananes, tandis que les éléphants se voient les uns les autres comme des humains (...) un Chewong qui endosse le "vêtement" d'un tigre continuera à voir le monde comme humain." (Par-delà nature et culture, p. 46-47, 2005)
Philippe Descola explicite le type de cosmologie en jeu en citant une formule d'une autre ethnie, les Bedamuni, vivant eux en Nouvelle-Guinée :
" Lorsque nous voyons des animaux, nous pourrions penser qu'il s'agit seulement d'animaux, mais nous savons qu'ils sont en réalité comme des humains." (ibid. p.48)
Les sceptiques, eux, ont su penser - et avec raison - qu'il s'agit seulement d'animaux. Et les cyniques ?
Sans former une ethnie (!), les cyniques me paraissent par endroits plus proches des Chewong que des sceptiques. C'est ce que me porte à penser l'anecdote rapportant quel profit Diogène tira de l'exemple d’une souris :
" C'est parce qu'il avait, à en croire Théophraste dans son Mégarique, vu une souris qui courait de tous côtés, sans chercher de lieu de repos, sans avoir peur de l'obscurité ni rien désirer de ce qui passe pour des sources de jouissance, que Diogène découvrit un remède aux difficultés dans lesquelles il se trouvait." (Diogène Laërce, VI, 22)
La version de la même histoire rapportée par Élien est encore plus claire du point de vue qui m'intéresse ici :
" Diogène de Sinope, abandonné de tout le monde, vivait isolé. Trop pauvre pour recevoir personne chez lui, il n'était reçu nulle part à cause de son humeur chagrine qui le rendait le censeur continuel des paroles et des actions d'autrui. Réduit à se nourrir de l’extrémité des feuilles des arbres, sa seule ressource, Diogène commençait à perdre courage, lorsqu'une souris, s'approchant de lui, vint manger les miettes de pain qu'il laissait tomber. Le philosophe, qui observait avec attention le manège de l'animal, ne put s'empêcher de rire : sa tristesse se dissipa, la gaieté lui revint. "Cette souris, dit-il, sait se passer des délices des Athéniens; et toi, Diogène, tu t'affligerais de ne point souper avec eux !" Il n'en fallut pas davantage pour rétablir le calme dans l’âme de Diogène " (Histoires diverses, trad. Dacier, 1827) - on laissera de côté la relative incohérence de ce récit : si Diogène ne mange que des feuilles, pourquoi consomme-t-il aussi du pain ? -
Certes je ne prête pas à Diogène de Sinope la croyance que la souris est un humain en vêtement de souris, mais si le philosophe cynique prend comme modèle la souris, c'est précisément qu'il ne la voit pas comme une souris, instance d'un type différent du type humain, mais comme un homme doté de vertus enviables. Dans d'autres anecdotes, ce sera plus difficile de savoir si la souris exemplifie une vertu ou un vice mais elle continuera d'être vue comme un homonculus :
" Devant les souris qui couraient sur sa table, il dit : " Tiens ! Voilà que même Diogène nourrit des parasites !" (VI, 40)
Je ne prétends pas, cela va de soi, que le cynique n'ait pas eu connaissance de l'animalité de l'animal. Reste que dans l'usage philosophique qu'il en fait, il illustre plus l'anthropomorphisme des Chewong que la reconnaissance lucide et sceptique de l' altérité de l'animalité.

mercredi 23 mai 2012

La sauterelle : l'homme en mieux.

Dans le chapitre XXVIII des Essais sur l'entendement humain, Locke présente les relations naturelles :
" Une autre raison de comparer des choses ensemble ou de considérer une chose en sorte qu'on renferme quelque autre chose dans cette considération, ce sont les circonstances de leur origine ou de leur commencement, qui n'étant pas altérées dans la suite, fondent des relations qui durent aussi longtemps que les sujets auxquels elles appartiennent par exemple père et enfantfrèrescousins germains, etc. dont les relations sont établies sur la communauté d'un même sang auquel ils participent en différents degrés ; compatriotes, c'est-à-dire, ceux qui sont nés dans un même pays" (trad. Coste)
Puis Locke explique que toutes les relations naturelles sont loin d'être désignées par le langage :
" Nous pouvons observer à ce propos que les hommes ont adapté leurs notions et leur langage à l'usage de la vie commune, et non pas à la vérité et à l'étendue des choses. Car il est certain que dans le fond la relation entre celui qui produit et celui qui est produit, est la même dans les différentes races des autres animaux que parmi les hommes :cependant on ne s'avise guère de dire, ce taureau est le grand-père d'un tel veau, ou que deux pigeons sont cousins germains."
Or, ce qu'"on ne s'avise guère de dire", rien d'étonnant si le cynique le dit, lui. Voyez Antisthène :
" Marquant son dédain à l'endroit de ces Athéniens qui se vantaient d'être des indigènes, il disait que leur noblesse ne dépassait en rien celle des limaçons et des sauterelles." (Vies et doctrines des philosophes illustres, VI, 1)
Ce qu'explicite la note de Marie-Odile Goulet-Cazé :
" Car limaçons et sauterelles sont aussi des autochtones " (Le Livre de Poche, p. 680)
Plus loin Locke relève ce qu'on appellera la pluralité des champs sémantiques relatives à un même référent :
" L'on ne doit point être surpris que les hommes n'aient point inventé de noms, pour exprimer des pensées dont ils n'ont point occasion de s'entretenir. D'où il est aisé de voir pourquoi dans certains pays les hommes n'ont pas même un mot pour désigner un cheval, pendant qu'ailleurs, moins curieux de leur propre généalogie que de celle de leurs chevaux, ils ont non seulement des noms pour chaque cheval en particulier, mais aussi pour les différents degrés de parentage qui se trouvent entre eux."
Antisthène donnerait-il aussi aux limaçons et sauterelles une généalogie ?
En tout cas, pas comme le paysan le fait avec ses chevaux, pour s'y retrouver facilement dans leur élevage.
Le cynique reste centré sur l'homme ; c'est juste que, pour l'élever vraiment, il le prive de ses propriétés imaginairement nobles.
Xénophane ne faisait-il pas pareil en imaginant un cheval humain, trop humain ?
" Cependant si les boeufs, les chevaux, et les lions
Avaient aussi des mains, et si avec ces mains
IIls savaient dessiner, et savaient modeler
Les oeuvres qu'avec art seuls les hommes façonnent
Les chevaux forgeraient des dieux chevalins, Et les boeufs donneraient aux dieux forme bovine."
À dire vrai, la sauterelle cynique est supérieure au cheval xénophanien : lui, est encore un homme, à sa manière chevaline ; elle, donne l'exemple à l'homme. Qui connaît en effet une sauterelle fière de son origine ?
On l'a souvent dit : l'animal dans sa simplicité muette est pour le cynique un modèle pour les hommes.

vendredi 11 mai 2012

Ce que signifie Philalèthe.

Étymologiquement Philalèthe veut dire ami de la vérité (φιλαλήθης). Diogène Laërce, établissant, au début des Vies et doctrines des philosophes illustres, une typologie des philosophes et de leurs écoles, mentionne le mot comme la désignation d' un ensemble déterminé de phlosophes :
" Parmi les philosophes, les uns ont reçu leur appellation à partir du nom des cités (dont ils étaient originaires), comme les Éliaques, les Mégariques, les Érétriaques et les Cyrénaïques ; d'autres à partir du nom des lieux (où ils enseignaient), comme les Académiciens ou les Stoïciens ; d'autres à partir des caractères accidentels (de leur activité), comme les Péripatéticiens, ou à partir de railleries (dont il faisaient l'objet), comme les Cyniques ; d'autres à partir de dispositions (qu'ils cherchaient à atteindre), comme les Éudémoniques ; certains (ont reçu leur appellation) à partir de ce qu' ils prétendaient être, comme les Amis de la Vérité (c'est moi qui souligne), les Réfutateurs ou les Analogistes ; certains (aussi) à partir (du nom) de leurs maîtres, comme les Socratiques et les Épicuriens, et ainsi de suite." (Livre I, 17, éd. Goulet-Cazé, p. 75)
Quant au sens que je lui donne dans le cadre de ce blog , il prend quelque liberté avec la philologie puisque je le traduirai par " amateur sincère de la vérité qui n'adore nullement ses propres conceptions ", expression que je trouve dans les Essais sur l'entendement humain de Locke (II, 21, trad. Coste). C'est ainsi que Locke se présente lui-même au moment de justifier le fait d'avoir révisé sa conception de la liberté au fil des éditions des Essais.
Leibniz a donc fait un choix légitime en désignant du nom de Philalèthe le porte-parole des idées de Locke dans ses Nouveaux essais sur l'entendement humain.
C'est à travers le nom de Théophile que Leibniz présente sa propre philosophie : l'ami de Dieu. Certes, comme pseudo, il aurait été plus difficile à porter...

vendredi 25 avril 2008

Comment lire Diogène Laërce ? Y a-t-il une différence entre le stoïcien, l'épicurien, le cynique etc et la licorne ou Monsieur Pickwick ?

Dans Langages de l'art (p.49 Hachette Littérature), Nelson Goodman écrit:
" La différence entre une image-d'homme et l'image d'un homme est étroitement parallèle à la différence entre une description-d'homme ou un terme-pour-homme et une description et un terme pour homme. "Pickwick", "le duc de Wellington", "l'homme qui a vaincu Napoléon", "un homme replet", "l'homme qui a trois têtes" sont toutes des descriptions-d'homme mais il s'en faut que toutes décrivent un homme. Quelques-unes dénotent un homme particulier, certaines dénotent chacun d'entre une multitude d'hommes, et certaines ne dénotent rien."
Je repense à Diogène Laërce et à ses philosophes illustres. La difficulté de le commenter vient finalement de ce que toute description-de-philosophe faite par lui peut autant dénoter un homme particulier (Diogène de Sinope par exemple) que chacun d'entre une multitude d'hommes (l'homme en tant qu'il a les traits de la secte cynique) ou rien du tout (le cynique comme possibilité seulement pensée mais jamais réalisée).

Commentaires

1. Le vendredi 25 avril 2008, 22:51 par Nicotinamide
Je suis allé relire les paragraphes qui encadrent votre citation. En conclusion, il écrit : "la représentation et la description efficaces réclament l'invention. Elles sont créatrices" car il se place du côté de l'art et non du point de vue de l'historiograhie. Diogène laërce ne souhaite pas en compilant ses sources ou en citant trois lettres d'Epicure, "refaire la réalité". Je ne crois pas qu'il cherche à donner une image-d'homme philosophe illustre. Il ne veut pas "représenter". Il cède des fragments de réalité. (Certes parfois il recopie des fables)Néanmoins votre réflexion me rattache à l'un de vos billets précédents sur Agathobule. En effet, vos remarques s'appliqueraient davantage à Lucien de Samosate. Est-ce que l'on ne touche pas à la fiction dans ce cas ?
(commentaire à chaud qui n'exprime pas le dénuement dans lequel m'a plongé vos remarques)
2. Le samedi 26 avril 2008, 09:33 par philalethe
Il est hasardeux de reconstituer les intentions de Laërce, mais on peut faire raisonnablement l'hypothèse qu'il voulait à chaque fois dénoter un homme particulier. Les auteurs du Dictionnaire de philosophie antique (Goulet) le lisent ainsi.
Mais s'il m'intéresse, c'est en tant qu'il dénote chacun des philosophes d'une secte donnée, le nom propre du philosophe se référant alors à tous les philosophes de la secte en question  (dans ces conditions Laërce indiquerait donc des styles de vie envisageables aujourd'hui encore au moins partiellement) et aussi en tant qu'il ne dénote rien du tout (reste que si, contre son gré alors, il ne dénote rien du tout, il ne m'intéresse qu'en tant que cette fiction a pour le moins une dimension d'idéal régulateur: par exemple le stoïcien comme horizon inaccessible mais pas comme mirage, car cet horizon change quelque chose, certes peut-être pas grand-chose, du paysage dans lequel on chemine).
3. Le dimanche 27 avril 2008, 21:56 par Nicotinamide
Diogène Laërce propose des passages doctrinaux, biographiques et successoraux. Ainsi, hâtivement, on pourrait penser que les maximes capitales ou les lettres d'Epicure rapportées par Diogène Laërce ne peuvent pas être lu comme une description du philosophe. Or pour Diogène Laërce qui place les vies au centre de son histoire de la philosophie, les paroles ne sont que des prolongements de l'homme. Par exemple après avoir établi l'apologie d'Epicure, il termine (X 12) : "Mais nous verrons mieux que cela, si nous avançons en prenant appui sur ses doctrines et ses paroles." (autre exemple : (X 29) : "Nous ferons figurer ses maximes capitales afin que tu connaisses l'homme par tous ses aspects") (voir aussi X 138). Par conséquent, les sentences, paroles participeraient à la description du philosophe. Ce qui complique la dénotation.
Comment lire Diogène Laërce ? Quels hommes dénote-t-il ? Votre billet continue de me tracasser. En effet, il existe l'image d'un Diogène assagi présentée par Dion de Chrysostome, l'image d'un Diogène religieux avancée par Epictète, l'image d'un Diogène clownesque proposé par Lucien... Est-ce que Laërce ne cherche pas à donner une image plus juste ? (ce qu'il fait pour Epicure d'ailleurs)
P.S :
- chacun d'entre une multitude d'hommes (l'homme en tant qu'il a les traits de la secte cynique
Ce point s'explique peut-être par le fait que Diogène Laërce procède à des successions. Socrate maître d'Antisthène maître de Diogène maître de Cratès maître de Zénon... Ainsi pour tenir ses filiations, il va insister sur les homologies (symplésiomorphies, les synapomorphies, apomorphies). Ce qui revient à soutenir (sans utiliser le vocabulaire de la biologie) que Diogène Laërce force sur les resemblances, leur dérive et les évolutions... au point d'inventer ou reprendre des branches imaginaires, par exemple, de poser Antisthène comme fondateur du mouvement cynique.

mercredi 20 juin 2007

Exit Diogène Laërce.

Cela fait presque deux ans et demi que, partant de Diogène Laërce et de ses Vies et doctrines des philosophes illustres, je fais des incursions intéressées dans les territoires des philosophes antiques. Incursions car ce n'est pas d'eux que j'attends la vérité (s'il est permis de formuler de manière si naïve l'intérêt porté à la philosophie) et qu'il faut donc toujours revenir sur des terres plus contemporaines et moins arpentées.
On se demandera alors s'il est bien nécessaire de les visiter... Oui, car ils fournissent des styles de vie originaires et fondateurs. Certes leur monde reste un peu étroit si l'on veut faire l'inventaire exhaustif de tous les styles de vie philosophiques mais les philosophes postérieurs n'ont pas eu leur vie mise en scène de la même manière et leurs textes sont si riches et traversés de tant de tensions qu'on sombrerait vite dans le ridicule à vouloir imaginer une vie bergsonienne ou foucaldienne. Il va de soi que je ne parle pas ici des biographies de ces penseurs mais des vies fictives qu'on construirait à partir des éthiques et des politiques qui émanent plus ou moins explicitement de leurs textes.
Sans doute, s'il nous est facile d'imaginer par exemple une vie épicurienne et même comme il m'est arrivé de le faire de la confronter à des difficultés tout à fait contemporaines, ce n'est pas seulement dû au fait que philosopher dans l'Antiquité revient à se convertir à un type de vie original par rapport à la vie ordinaire; cela tient aussi à cette réalité contingente: l'immense majorité des textes épicuriens a disparu et la part de tensions, voire de contradictions qu'ils contenaient, nous échappe pour toujours. Ce sont sans doute les philosophes cyniques qui nous offrent la prise la plus facile: en effet leur théorie est assez mince pour laisser à chacun la liberté d'imaginer ce que pourrait être une vie cynique. Confirmation de cette analyse: des textes de Platon ou d'Aristote, qui oserait extraire une vie platonicienne ou aristotélicienne ?
Ce sont des incursions aussi car ce ne sont pas seulement les modernes ou les contemporains qui me les font quitter, c'est aussi que, quelle soit la partie du territoire antique dans laquelle on se plaît momentanément à observer les usages, on est vite conduit à poursuivre le voyage vers d'autres territoires: non qu'à force d'y reconnaître l'illustration des principes indigènes on se lasse mais parce que ces écoles cultivent leur identité avec la conscience très claire de ce qui les oppose aux autres. Encore une fois ce sont sans doute les cyniques dont le rôle est manifestement le plus tourné vers la dénonciation des travers des autres philosophies, mais il va de soi que les sceptiques tirent leur fond de commerce des dogmatiques et que les dogmatiques épicuriens et stoïciens se définissent les uns contre les autres. Et donc, sauf à être transi d'admiration et converti illico, le lecteur des uns devient vite celui des autres sans que d'ailleurs ces va-et-vient ne trouvent peut-être d'autre fin que dans la lassitude (serait-ce une manière d'accorder la victoire finale aux sceptiques ?).
Il me reste à expliquer que c'étaient des incursions intéressées. Il ne faudrait pas les comprendre sur le modèle des colonisations. Je ne suis pas allé explorer ces terres pour les faire entrer dans un paysage, dans une géographie où elles auraient eu, chacune à sa manière, une valeur locale. Au fond j'y suis peut-être allé comme on allait au spectacle, pour y voir de belles choses, ces dernières étant ici des vies contradictoires entre elles mais cohérentes. J'y suis allé y voir des hommes et quelques femmes y vivre des vies trop belles pour être vraies, tant ce que leur apportait la fortune n' était pour eux que le matériau qu'ils mettaient en forme. A la différence de nos vies que le plus souvent les infortunes défont, les vies que rapportait Laërce se nourrissaient de tout ce qui aurait dû les décomposer si on avait eu affaire à des hommes et non à ces rêves d'hommes, nés peut-être de la conscience douloureuse de leurs misères. Pascal en voulait aux stoïciens de croire pouvoir réussir leur salut en faisant l'économie de la foi en Dieu, nous nous ne leur voulons plus guère désormais mais ce que nous partageons avec Pascal, c'est que la compilation laërtienne nous a présenté des hommes impossibles ou (mais c'est plus difficile à reconnaître) des hommes d'exception.
On me demandera alors pourquoi ne pas lire des romans si l'on cherche dans le texte non à apprendre quelque chose sur les hommes tels qu'ils sont mais à nourrir la nostalgie des hommes tels qu'ils auraient pu être. C'est que depuis longtemps les romans ne sont lisibles avec plaisir qu'à condition qu'ils ne nous présentent pas ces vies stylisées et si rarement prises de court. Quand ils le font, ils sont édifiants et quasi ridicules.
Il en va de même du cinéma ou du théâtre; on n'y va plus guère pour voir la représentation du meilleur, très souvent au contraire on s'y réjouit de la confirmation du pire.
D'ailleurs les romans qui nous intéressent nous font souvent connaître des singularités irréductibles, si particulières d'ailleurs qu'il devient même difficile de typifier leurs personnages en Harpagon ou Bovary.
Reste que si, à travers les faits et gestes de l'individu Diogène de Sinope, c'est le cynisme dans sa généralité qui s'incarne, son comportement n'est pas transparent au point d'être ennuyeusement équivoque; même si la conduite est du genre "stoïcien" ou "épicurien", elle a une présence concrète assez riche pour être quelque chose de plus que l'illustration d'un dogme et son interprétation contribue, sinon à reconstituer la dogmatique absente, du moins à lui donner des nuances, à suggérer des inflexions et des incertitudes aussi.
En somme, les personnages de Diogène Laërce, avec les colorations que leur donnent les textes étrangers que de temps en temps je leur adjoins, tiennent le milieu entre le symbolique et l'impénétrable. Ils partagent ce statut avec, parmi d'autres, les allégories platoniciennes. Ainsi celle de la caverne qui ne tolère pas toute interprétation certes mais qui n'est rendue transparente et donc ennuyeuse par aucune. Trop de détails concrets, trop de précisions anecdotiques et donc à première vue secondaires constituent un reste toujours disponible pour de nouvelles lectures.
Diogène Laërce, le plat compilateur, a laissé en réalité une oeuvre haute en couleurs. Ses personnages ne constituent aucune fresque d'ensemble; pourtant, même s'ils appartiennent à des écoles distinctes, ils ont un air de famille. Comme s'ils étaient les seules figures colorées d'un dessin animé en noir et blanc, ils ont un relief auquel j'ai eu envie d'accoler des bulles. Mais ce que j'ai mis dans lesdites bulles prête bien sûr à discussion et les érudits qui savent si bien que la lettre du texte ne tient parfois qu'à un fil n'ont pu que rire des discours que je prêtais à ces hommes qui, sans être mythologiques, ne sont pas pourtant purement humains.
J'espère cependant que je leur ai donné aux uns et aux autres assez de vie pour leur permettre de venir habiter nos incertitudes et que pourtant aucun d'entre eux n'a une présence capable d'étouffer les autres. Si cela est possible, qu'ils vivent dans les mémoires et les imaginations. Sans aller jusqu'à venir donner une forme à nos exigences, qu'ils chantent chacun leur partition dans un choeur sans chef d'orchestre... Si seulement quelques-uns de leurs refrains pouvaient de temps en temps prendre alors la place de l'angoisse et du désarroi !

vendredi 22 septembre 2006

Diogène Laërce, notre modèle ?

Après avoir rapporté les paroles mémorables d’Aristote, Laërce fait le catalogue de ses écrits : 156 titres (10 pages de mon édition des Vies) : 445 270 lignes précise Laërce et, sur ce, il enchaîne l’exposé de la doctrine :
« Voici d’autre part ce qu’il y professe. » (V 28)
Que lit-on alors ?
Rien que 6 pages, plus exactement 88 lignes, soit quantitativement et, en supposant une équivalence entre la taille des lignes de mon édition et celle des lignes auxquelles se réfère Laërce, 0,019 % de la masse totale de l’œuvre aristotélicienne.
Je suis porté à en tirer deux conclusions radicalement opposées : si j’accorde du prix à l’œuvre de Laërce, celle d’Aristote est nécessairement prolixe, voire logorrhéique ; en revanche si, comme m’y engage la hiérarchie des valeurs inscrite dans la tradition, je donne tout le poids à l’œuvre du philosophe, le texte de Laërce est d’une insupportable légèreté, pour ne pas aller jusqu’à dire qu’il n’est que du vent.
Mais ce Laërce-là ne représente-t-il pas la caricature du professeur de philosophie, au moins dans les classes terminales ?
C’est non seulement sa brièveté pédagogique qui m’engage à entamer une telle comparaison mais aussi la division de son texte en deux parties dans lesquelles je retrouve deux éléments des cours de philosophie :
a) le topo :
« Sa doctrine philosophique se divise en deux : la doctrine pratique et la doctrine spéculative (…) Il ne retint pour fin unique que l’usage de la vertu dans une vie accomplie (…) L’amitié, il la définissait une égalité de bienveillance réciproque. » (V 28-30)
b) l’explication de texte :
Elle est d’autant plus pointue et fine que le topo a été expéditif. C’est ainsi que Diogène Laërce, pour expliquer une ligne et demie d’Aristote, écrit 17 lignes de commentaire. Résumons : presque 20 % du texte de Laërce est consacré à l’élucidation de 0,00033% de l’œuvre du maître. Ce qui donne une justification à cette bizarre pratique : l’œuvre est si riche qu’on ne peut en toute honnêteté que juxtaposer la synthèse à la hache et l’analyse pointilleuse. Imaginez que Laërce ait voulu expliquer exhaustivement Aristote, il aurait dû écrire plus de 5 millions de lignes. Or, le professeur, raisonnable, sait qu’il n’a guère plus que 30 semaines de cours, on ne peut tout de même pas demander à un élève qui aurait 3h de cours par semaine d’écrire chaque heure 55.555 lignes destinées à lui permettre d’entrer dans les arcanes de la pensée et, qui plus est, seulement de la pensée aristotélicienne...

mardi 21 février 2006

La lecture de Diogène Laërce est-elle désespérante ?

Dans la deuxième Considération inactuelle, intitulée De l’utilité et de l’inconvénient de l’histoire pour la vie (1874), Nietzsche dénonce l’enseignement de l’histoire en tant qu’il développe une pensée relativiste et, par là même, impropre à orienter. A cette occasion, il cite une lettre dans laquelle le poète allemand Hölderlin (1770-1843) donne l’impression qu’il a retirée de la lecture de Diogène :
« Le jeune homme est ainsi devenu un sans-patrie, il doute de toutes les coutumes et de toutes les idées. Il le sait bien à présent : autres temps, autres moeurs ; peu importe donc ce que tu es. Dans une mélancolique atonie, il laisse défiler devant lui une opinion après l’autre, et il comprend l’état d’âme et la parole de Hölderlin, après la lecture de l’ouvrage de Diogène Laërce sur la vie et la doctrine des philosophes grecs : « Une fois que j’ai ressenti cette impression souvent éprouvée déjà, que ce caractère transitoire et éphémère des pensées et des systèmes de l’homme m’affecte d’une manière plus tragique que les vicissitudes habituellement considérées comme seules réelles ». » (trad. Albert révisée par Lacoste)
J’imagine que la lecture de Diogène peut encore décourager même si la multiplicité qu’il dépeint est si éloignée de nous que le rapprochement avec les disputes de philosophes plus contemporains ne va pas de soi. Son livre m’apparaît plus comme un télescope qui permettrait de découvrir ce qui s’est passé il y a bien longtemps sur une autre planète que comme une description éternellement vraie de la condition humaine quand elle s’acharne à philosopher.
D’abord c’est une planète où pullulent les philosophes et où ils ne font donc que se rencontrer, se critiquer, se moquer les uns des autres, laissant peu de place pour les gens ordinaires ou pour les autres hommes d’exception. Au fond les Vies m’introduisent dans une sorte de zoo, où on ne voit presque que des exemplaires d’une seule espèce : homo paleophilosophicus.
En effet ils sont des "paléophilosophes" au sens où ils ont tous une très haute idée de la philosophie qu’ils défendent, même les sceptiques avec leur silence savant. Ils attendent d’elle qu’elle dise le fin mot de l’affaire ou qu’elle ait le dernier mot. Bien sûr chacun ne cesse pas de se faire clouer le bec par les adversaires, mais ils partagent tous l' idée que le silence devrait se faire quand ils parlent.
Philosopher aujourd’hui ce n’est généralement plus vouloir occuper cette place royale qu’aucun, même parmi les plus grands, n’a pu garder bien longtemps. Ce qui manque à tous ces philosophes antiques, c’est par définition la connaissance que nous avons de la longue histoire qui nous sépare d’eux. Instruits par les échecs des entreprises les plus ambitieuses, nous sommes devenus plus modestes et quelquefois même enclins à considérer que la philosophie aujourd’hui doit se convertir en thérapeutique des maladies philosophiques : par exemple le penchant de l’esprit à généraliser ou bien à chercher l’ essence de ceci ou de cela, dans une irrésistible tendance à nier la diversité des usages linguistiques et des formes de vie.
Vu sous ce jour, le philosophe n’a plus l’ambition de construire le Système qui mettra fin à la préhistoire philosophique, plus attentif qu’il est à dénoncer les mythes naissant au sein de la philosophie ou en dehors d’elle.
Reste que si ces philosophes antiques ont des côtés bien archaïques, leurs joyeuses disputes aiguisent l’esprit du lecteur, prêt par cet exercice à ne se laisser prendre au piège d’ aucune chanson. De les voir se battre rend combatif même si l’on sait bien que les cibles d’aujourd’hui ne sont plus celles d’hier.
Et puis, quoi qu’il en soit de leurs vérités théoriques, ces penseurs anciens ne sont pas que des bouches récitantes ; ils ont des manières de vivre suggestives, même si nous ne croyons plus à la possibilité de fonder sur la philosophie une bonne conduite. Pour reprendre une expression de Wittgenstein, s'appliquant, je crois, aux récits évangéliques, leurs faits et gestes sont des « règles de vie mises en image ». Même si nous ne partageons plus leur idée qu’il y a parmi toutes les vies une vie vraie, certains encore sont capables d’éveiller en nous de l’admiration et de l’étonnement. Certes nous savons bien que Diogène ne rapporte pas des faits, mais peu importe, ne peut-on pas voir de la grandeur (ou de la bassesse) dans les actions d’un personnage de roman ?
Si Diogène devait nous décourager, ce ne serait pas parce qu’il met en évidence que la philosophie a une histoire et qu’on ne sort pas de la caverne platonicienne (nous le savons encore mieux que lui) mais parce qu’il a inventé des héros si divins qu’à côté d’eux on se sent, il est vrai, bien humain...

mercredi 11 janvier 2006

Diogène Laërce, un valet de chambre ?

J’aime lire avec soin Diogène Laërce mais je sais qu’il ne faut pas avoir foi en lui. Prenons par exemple le portrait qu’il fait de Diodore d’Iasos, surnommé Cronos comme son maître Apollonios Cronos, lui même auditeur d’Eubulide de Milet. Certes il reconnaît qu´ « il était un dialecticien, qui passe, selon certains, pour être le premier à avoir découvert l’argument voilé et l’argument cornu » (II, 111). Mais, mis à part que le lecteur a appris, quelques lignes avant, que c’est à Eubulide que l’on doit l’invention de ces arguments, Diogène Laërce a fait précéder ce passage d’un épigramme de Callimaque de Cyrène :
« Mômos lui-même écrivait sur les murs : « Cronos est sage »
Ce Mômos est un dieu qui s’est fait chasser de l’Olympe tant il passait son temps à railler ses divins confrères. C’est un moqueur qui ne respecte rien et qui écrit ainsi des graffitis ironiques sur les murs de Iasos (car quand on sait qu’Aphrodite est la seule déesse qui ne tombe pas sous les critiques de Mômos, on ne peut tout de même pas faire l’hypothèse qu’il faut prendre au premier degré un énoncé concernant un simple mortel). Il sait en effet percer à jour et mettre à nu les failles, même s’il reprochait à Héphaistos, alias Vulcain, d’avoir fait l’homme sans laisser une ouverture dans la poitrine, ce qui aurait permis d’y voir directement ses secrètes pensées, comme le rapporte Lucien de Samosate:
« On dit que Minerve, Neptune et Vulcain, disputèrent un jour d'adresse et d'industrie. Neptune forme un taureau, Minerve invente l'art de construire les maisons, et Vulcain donne naissance à l'homme. Ils vont ensuite trouver Momus, qu'ils avaient choisi pour juge. Momus considère l'oeuvre de chacun. Ce qu'il trouve à redire dans les autres oeuvres, nous n'avons pas besoin de le rapporter ici. Quant à l'homme, il blâme Vulcain, qui l'avait bâti, de n'avoir pas placé une petite fenêtre sur sa poitrine, afin qu'en l'ouvrant, tout le monde pût connaître ses désirs et ses pensées, s'il mentait ou s'il disait la vérité. » (Hermotime ou les Sectes trad. de Talbot 1912).
Mais, aux dires de Diogène, Diodore n’est pas seulement l’objet de la dérision de la Dérision faite homme , il est aussi moqué par l’homme à la cour duquel il vit, Ptolémée Sôter, ex-général d’Alexandre et maître de l’Egypte. Sans doute sous les regards mêmes du souverain, Stilpon, autre mégarique, le met au défi de résoudre les embûches dialectiques dont tous ces disciples d’Euclide paraissent avoir été friands. Diodore restant muet, Ptolémée le lui reproche et l’humilie même en l’appelant par son surnom ambigu, Cronos, qui désigne à l’origine le Titan, père de Zeus, célèbre amphibologiquement pour sa subtilité et pour sa folie radoteuse. Si l’on ajoute que Krónos se prononce comme Chrónos (le Temps), on mesure alors les multiples sens de l’inscription murale (« Le Subtil est sage », ce qui est presque une tautologie ; « Le Radoteur est sage », ce qui est une contradiction ironique ; « Le Temps est sage », ce qui met hors jeu Diodore). En tout cas quand Diodore entend Krónos dans la bouche de Ptolémée, il ne doute pas que c’est une condamnation :
« Il quitta alors le banquet, et, après avoir écrit un traité sur le problème posé, de découragement il se suicida » (II, 112)
Encore une fin qui n’a rien de glorieux, quel que soit le sens donné au suicide : doit-on penser que le traité échoue à régler les problèmes posés par Stilpon ou que Diodore est désespéré à l’idée qu’un homme comme lui, en mesure d’écrire un traité si argumenté, soit rabaissé publiquement à cause de sa seule incapacité à solutionner immédiatement ce qui mérite tout un ouvrage pour être éclairé ? Ce qui est certain, c’est que Diodore n’a rien de stoïcien ! Autant un cynique qu’un disciple de Zénon rirait de cet amour-propre mal placé ! Et voilà le bouquet, le clou enfoncé par Diogène le suiveur, qui, encouragé par la triade Callimaque, Mômos et Ptolémée (illustre poète, dieu et roi ont de quoi certes persuader quand ils se liguent contre une victime) participe à la curée avec une grande cruauté :
« Diodore Cronos, lequel parmi les dieux à un funeste découragement t’a contraint, pour que de toi-même tu te sois précipité dans le Tartare, parce que tu n’avais pas résolu les énigmatiques paroles de Stilpon ? Tu t’es bien révélé « Cronos », sans le R et sans le C (soit onos, ce qui signifie l’âne en grec comme le précise précieusement Marie-Odile Goulet-Cazé) » (ibid.)
Et c’est tout ce qu’en dit Diogène Laërce. Et pourtant je lis dans une autre note de la même traductrice :
« Diodore était un philosophe éminent « le seul philosophe de Mégare sur lequel nous ayons conservé un ensemble de textes relativement cohérent et substantiel » (Muller, Les Mégariques, p.51)"
Et de me rappeler Hegel : s’il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre, ce n’est pas la faute du grand homme mais celle du valet de chambre...

lundi 13 juin 2005

Diogène Laërce ou la riche platitude.

Environ 600 ans avant que Diogène Laërce n’écrive les Vies, Platon dans le Protagoras caractérise les Sept Sages comme partageant tous l’art des hommes de Sparte : la parole laconienne, l’art de « décocher un propos qui compte, court et ramassé » (342e, trad. de Léon Robin). Socrate présente ce jugement à propos d’une des formules de Pittacos :
« Il est difficile d’être un brave homme »
Le choix de la traduction est étonnant, je préfère la version, due à Richard Goulet, que je trouve dans Diogène :
« Il est difficile d’être excellent »
En fin commentateur, Socrate oppose devenir un homme de bien à être un homme de bien et discute subtilement du sens de la phrase (plus précisément de celui des vers du poète Simonide rapportant ce dit de Pittacos). Le brave Diogène ne fait pas ces nuances, Laërce n’est pas fin, il n’identifie aucune différence dans les deux versions qu’il reproduit : « Il dit également qu’ « il est difficile d’être excellent », parole également mentionnée par Simonide quand il dit :
« Devenir un homme de bien est difficile en vérité : le mot est de Pittacos » (I, 76)
La ligne qui suit indique pourtant que Diogène a lu le dialogue de Platon, mais il ne fait pas la synthèse de ses lectures. Il ne lit pas pour mieux comprendre mais pour plus répéter. Diogène rapporte tout et n’importe quoi, l’or et la boue. Ainsi, avant de clore cette vie par une lettre apocryphe de Pittacos, il n’hésite pas à recopier les insanités du poète Alcée, qui, ennemi politique du sage, l’a largement rabaissé mais apparemment sans inventivité aucune :
« Alcée lui donne le nom de « larges pieds », du fait qu’il avait de grands pieds et les traînait en marchant ; de « pieds crevassés » parce qu’il avait des crevasses aux pieds, de « vantard » parce qu’il se vantait sans raison ; d’ « enflé » et de « ventru » parce qu’il était gros ; et encore de « dîneur de l’ombre » parce qu’il mangeait sans lampe ; de « sale » parce qu’il était négligé et malpropre. » (81)
Aucun indice permettant de savoir si Laërce fait confiance ou non dans ce témoignage ; sans doute a-t-il juste mis à la fin les « restes », plus désireux de ne rien oublier que de composer une vie. Ainsi ouvre-t-il celle de Pittacos par un exploit et la termine-t-il par des remarques calomnieuses sur son physique. Mais il ne faut rien en conclure. Je note aussi qu’il n’a consacré aucun vers de son cru à Pittacos, qui partage ce déshonneur (mais en est-ce un ?) avec Cléoboulos. Il ne faudrait surtout pas lire Diogène Laërce pour s’initier à la philosophie grecque. Il saute du coq à l’âne, met le commérage sur le même plan que la thèse, en un mot ce n’est pas du tout un philosophe. Ce n’est pas non plus un commentateur de philosophe, ni un historien. C’est juste un compilateur et c’est ce que j’aime en lui : je visite en le lisant l’antithèse du monument philosophique, systématique et construit, ce qu’il faut lire quand on veut devenir philosophe. Diogène n’est pas un architecte, certes il n’est pas désordonné au point de changer de plan d’une vie à l’autre : ainsi il commence par la généalogie, présente les homonymes à la fin etc. Mais son arrangement ne vise pas à persuader, encore moins à convaincre. Son ordre est purement pratique, sans arrière-pensée théorique : dès qu’on y place des intentions, on le surinterprète. Je me demande si on ne commence pas à surinterpréter Diogène dès qu’on l’interprète. Il n’a pas d’arrière-pensées, mais alors a-t-il des pensées ?